Apprendre ! : Les talents du cerveau, le défi des machines
de Stanislas Dehaene
par Laurence Monnier
En lisant ce koob, vous découvrirez l’immense et inégalable talent du cerveau humain : sa capacité à apprendre.
Vous découvrirez aussi que :
- l’intelligence artificielle n’arrive pas encore à la hauteur de l’intelligence humaine ;
- nous sous-estimons les connaissances des bébés ;
- apprendre, c’est réviser, encore et encore ;
- tous les enfants et adultes gagneraient à connaître les quatre piliers de l’apprentissage.
Selon Stanislas Dehaene, apprendre est le plus grand talent du cerveau humain. Dans son ouvrage “Apprendre ! Les talents du cerveau, le défi des machines”, il invite enseignants, parents et scientifiques à travailler ensemble pour faire progresser les sciences de l’éducation et leur mise en œuvre à l’école. Face aux résultats alarmants des performances des écoliers français, l’objectif de Stanislas Dehaene est de réveiller en eux la curiosité et la joie d’apprendre. Si vous aussi ce défi vous enthousiasme, suivez le guide !
Apprendre, c’est construire, dans son cerveau, un nouveau modèle du monde
Vous êtes-vous déjà demandé ce que signifiait le verbe “apprendre” ?
Étymologiquement, celui qui apprend est supposé attraper, saisir par la pensée et donc emporter en lui un fragment de la réalité, appréhendée grâce à ses sens. Il transforme les données brutes en idées abstraites, il les raffine de façon à les utiliser dans des situations nouvelles. Ces idées abstraites, ces représentations mentales sont appelées “modèles internes” par les neuroscientifiques.
Ainsi, le cerveau humain abrite des milliers de modèles mentaux : celui de la langue française, celui du corps, celui de la connaissance que vous avez des objets, celui que l’on pourrait comparer à un catalogue des personnes proches. Apprendre, c’est donc saisir une réalité extérieure – lire le plan d’une ville – ou interne – **coordonner ses pensées et gestes pour apprendre à jouer d’un instrument, **par exemple.
Apprendre, c’est par conséquent ajuster les paramètres d’un modèle mental. Ces paramètres sont extrêmement nombreux. Il faut chercher à faire coïncider les réglages de votre modèle interne avec la réalité extérieure.
Prenez un exemple grammatical :
- en français, on énonce le sujet, le verbe et le complément. Vous direz donc “Mon oncle veut habiter à Paris” ;
- en japonais, l’ordre des mots est différent, puisque vous placez d’abord le sujet, puis l’objet et enfin le verbe. “Oncle mon Paris à habiter veut” ;
La position des mots change elle aussi. En effet, la préposition “à” en français devient postposition en japonais, car cette langue place la tête verbale après.
Quand il apprend l’une des deux langues, l’enfant, français ou japonais, doit ajuster le paramètre « position de la tête verbale » dans son modèle interne.
Apprendre, c’est combiner tous ces paramètres ajustables. Compte tenu de nos 86 milliards de neurones, chacun pourvu d’une dizaine de milliers de contacts synaptiques, les perspectives sont presque infinies.
Apprendre, c’est aussi accepter l’erreur
Les neurones se trompent. S’arrêtent-ils là pour autant ?
Non, ils observent leurs erreurs, rectifient. C’est pourquoi apprendre, c’est aussi minimiser ses erreurs. Cela peut être long pour parvenir au bon réglage. Pour résoudre un problème, le cerveau cherche des indices et les hiérarchise.
Comparez ce travail du cerveau avec le chasseur qui ajuste le viseur de son fusil. Il tire et se rend compte qu’il vise 5 centimètres trop à droite. Qu’apprend-il ? Deux informations essentielles : l’une sur l’amplitude (5 cm) et l’autre sur le signe de l’erreur (trop à droite). Grâce à elles, il sait comment corriger son tir. Il peut tourner le viseur légèrement sur la droite ou sur la gauche, faire plusieurs essais. Il tente de déterminer dans quelle direction il doit ajuster son tir pour réduire la probabilité d’erreur. Les neurones font de même.
Apprendre, c’est encore être à la fois acteur et critique de ses actions. Certaines aires du cerveau jaugent les autres : elles évaluent vos aptitudes et prédisent les récompenses ou punitions que vous risquez d’obtenir.
C’est également réduire le nombre de paramètres à ajuster pour accélérer l’apprentissage et généraliser. C’est le problème auquel est confrontée l’intelligence artificielle.
C’est enfin s’appuyer sur des “a priori”, c’est-à-dire des hypothèses innées, et faire le tri. Cette manière d’agir est plus efficace que celle qui consisterait à partir de zéro. Comme vous le verrez un peu plus loin, le bébé sait déjà des choses sur le monde extérieur : il fait la différence entre les objets qu’il lui faut pousser pour qu’ils bougent, et les personnes qui sont autour de lui, qui se déplacent toutes seules et qui, en plus, parlent.
Aviez-vous conscience de la puissance de votre cerveau ?
Cerveau et machine : pourquoi l’un apprend mieux que l’autre
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le cerveau humain reste plus performant que l’intelligence artificielle. Que manque-t-il donc à la machine ?
Le cerveau humain a des fonctions que l’intelligence artificielle n’a pas
- l’apprentissage des concepts abstraits. Le cerveau humain est capable d’analyser et de raisonner après une première erreur, et ce, dans tous les aspects de la vie quotidienne. Quand vous apprenez à lire, vous acquérez un concept abstrait de chaque lettre de l’alphabet, qui vous permet de l’écrire et de la reconnaître, quel que soit son aspect, quelle que soit la police de caractère utilisée ;
- la vitesse d’apprentissage. Le réseau de neurones créé par DeepMind nécessite 900 heures de jeu pour atteindre un niveau correct sur une console Atari, alors que l’homme a seulement besoin de deux heures ;
- l’apprentissage social. Grâce au langage et à l’imitation, l’être humain est le seul à pouvoir partager les informations ;
- l’apprentissage en un seul essai. Vous êtes capable d’apprendre immédiatement le mot inventé “daxer”, car vous l’insérez dans un système de règles déjà connu : il s’agit d’un verbe du 1er groupe, qui se conjugue, etc. ;
- l’apprentissage de règles formulées par un langage doué d’une possibilité de négation. Vous pouvez concevoir l’infini qui est “non fini”. Votre cerveau combine des symboles dans une arborescence complexe ;
- la composition des connaissances, c’est-à-dire le fait de combiner ses connaissances pour résoudre des problèmes nouveaux. Ainsi, le logiciel AlphaGo, pourtant champion du monde du jeu de go, ne peut généraliser ses talents à tout autre jeu légèrement différent (même le jeu de go sur un échiquier de 15 X 15 plutôt que 19 X 19).
Le langage permet à l’homme d’être plus performant dans son apprentissage
Le fait de parler, d’être doué de langage, rend l’homme plus performant. L’enfant se forge très tôt des règles générales. Il apprend par exemple le mot “papillon” après l’avoir entendu une ou deux fois, car il est associé à une scène complexe. De plus, celui qui parle à l’enfant fait attention à ce qu’il dit. L’enfant suit son regard, son doigt et essaie de comprendre. C’est l’attention partagée.
L’enfant applique aussi la règle “un seul mot pour chaque chose”. Face à un mot nouveau, il élimine ceux qu’il connaît et va chercher un objet encore inconnu. Par exemple, il sait ce qu’est un bol et la couleur bleue. Face à un bol bleu et un autre vert olive, si on lui demande d’aller chercher le bol “crapité”, il prendra le bol qui n’est pas bleu. Certains animaux sont aussi capables de le faire.
Apprendre, c’est calculer des probabilités et se comporter en détective. C’est tirer le maximum de déductions de chaque observation, comme l’ont fait Thomas Bayes et le marquis de Laplace. La théorie bayésienne démontre qu’en raisonnant avec les bonnes probabilités, il est possible de remonter des observations à leurs causes. Alan Turing l’a d’ailleurs utilisée pour décrypter le code Enigma (le mécanisme qui servait à crypter les messages allemands durant la Seconde Guerre mondiale).
Pour récapituler, tout savoir s’appuie sur des hypothèses “a priori”, innées, et des règles apprises qui permettent de les trier.
Contrairement aux idées reçues, les bébés naissent avec des connaissances
Les bébés ne sont pas des ardoises vierges. Ils viennent au monde avec un savoir riche, des intuitions précoces dans des domaines aussi variés que les objets, les personnes, l’espace ou les nombres.
La preuve : par exemple, quand des adultes font disparaître des objets, qu’ils les multiplient, les bébés sont surpris. Mais il leur faudra des mois pour affiner leurs intuitions, pour expérimenter et éliminer toutes les théories fausses. Par exemple, en faisant tomber leur cuillère, ils éliminent l’hypothèse qu’un objet tient tout seul en l’air.
Ils ont aussi le sens du nombre – **très vite, ils comprennent que 1 + 1 = 2 – **et des probabilités. Faites une expérience : présentez-leur une urne qui contient trois balles rouges et une balle verte. Occultez l’urne avec un panneau, secouez-la : si une balle rouge tombe, ce qui est le plus probable, le bébé regarde à peine. Mais si c’est la balle verte qui sort – avec une chance sur quatre –, il l’observe bien plus longtemps et sa surprise trahit un calcul de probabilité. Sa capacité de raisonnement fonctionne dans les deux sens : deviner les caractéristiques d’un ensemble ou celles d’un échantillon.
Ils devinent les intentions des personnes qui les entourent : ils comprennent et déduisent, sans qu’il soit besoin de leur expliquer, que plus le mur est haut, plus la motivation de la personne doit être grande pour qu’elle le saute. Ils distinguent la personne qui fait du mal volontairement de celle qui ne l’a pas fait exprès.
Ils sont attirés vers les visages de façon instinctive et préfèrent très tôt les visages de leur espèce et ceux faisant partie de leur environnement.
La vue est en alerte chez le nouveau-né de quelques heures alors même qu’il n’a jamais eu la possibilité de voir le moindre visage. Il en va de même pour l’ouïe “via” l’apprentissage des langues : le fœtus entend déjà dès le troisième trimestre de grossesse. Et ce n’est pas parce qu’il ne parle pas tout de suite qu’il n’analyse pas. Dès la naissance, il est capable de différencier les voyelles et les consonnes de toutes les langues. Mais il ne va retenir que les sons utilisés dans son environnement. S’il est en Angleterre, il comprend très vite qu’il est inutile de différencier “U” et “OU”. Il est également capable de reconnaître les groupes de sons qui s’enchaînent souvent et de comprendre que les sons forment des mots.
Saviez-vous que l’être humain apprend une langue par instinct, qu’elle soit constituée de sons ou de signes, telle la langue des sourds ?
La plasticité du cerveau est ce qui permet l’apprentissage chez l’enfant
Grâce aux travaux des neuroscientifiques, dont ceux de Santiago Ramón y Cajal, nous savons aujourd’hui que le cerveau n’est pas constitué d’un réseau continu, mais de cellules nerveuses disjointes, les neurones, qui communiquent entre elles par le biais des synapses. Ces synapses se modifient en permanence et cette plasticité permet au cerveau d’enregistrer de nombreuses informations. Des neurotransmetteurs, comme la dopamine ou la sérotonine, font le tri et déterminent les épisodes importants à apprendre.
Comment les épisodes jugés marquants sont-ils enregistrés dans la mémoire ? Pour parvenir à ce résultat, un ensemble de neurones doit modifier la force de leurs connexions. Collectivement, ils constituent le substrat de la mémoire. Les souvenirs s’inscrivent ainsi dans le cerveau et se réveillent à chaque fois que vous rejouez les décharges neuronales associées à une expérience passée.
Au fur et à mesure des études scientifiques, il est apparu clairement que la plasticité synaptique est bel et bien responsable de l’apprentissage. Or celui-ci requiert du temps et de l’énergie : la consommation du cerveau du jeune enfant peut aller jusqu’à 50% du bilan énergétique du corps. Bien se nourrir, s’oxygéner et faire de l’exercice physique est par conséquent indispensable.
Le bébé possède un cerveau qui est le siège d’un bouillonnement de plasticité synaptique. Il peut donc apprendre énormément de choses. Cependant, en vieillissant, cette plasticité diminue. Ainsi, une fois adultes, nous avons beaucoup plus de difficultés à apprendre une langue étrangère. La phonologie, c’est-à-dire l’étude des sons, est une compétence qui décline très vite, tout comme l’apprentissage de la grammaire.
Le jeune enfant apprend moins facilement que le bébé, quelqu’un ayant immigré durant l'enfance fera moins de fautes de langue que quelqu’un ayant immigré durant l'adolescence. Donc plus vous apprenez une langue tardivement, moins vous parvenez à la parler correctement, qu’il s’agisse de votre syntaxe ou de votre accent.
Pourquoi cette plasticité synaptique se ferme-t-elle ? Est-ce si néfaste ? Fort heureusement, non. Sans doute le système nerveux éprouve-t-il le besoin, à un certain moment, d’arrêter de modifier la structure du cerveau. Comme des circuits se figent, ils permettent à l’individu de garder toute sa vie une trace synaptique inconsciente de quelques apprentissages précoces. Vous reconnaissez toujours plus vite des mots tels que “biberon” ou “papa”, entendus dès l’enfance et restés gravés de façon permanente.
Quoi qu’il en soit, il est essentiel de laisser les plus jeunes apprendre. Mais si la plasticité s’affaiblit, c’est d’abord dans les aires sensorielles. Elle se ferme progressivement après la puberté pour la phonologie et la grammaire d’une deuxième langue. Quant à l’acquisition du vocabulaire, par exemple, vous pouvez l’enrichir toute votre vie, , car votre capacité à l’apprendre ne diminue pas.
Si l’enfant a subi un traumatisme précoce – un abandon par exemple – et qu’il est adopté très tôt, avant vingt mois, la plasticité de son cerveau peut néanmoins faciliter sa résilience. Traité à temps, un déficit n’est pas irréversible.
Là encore, vous pouvez constater le bienfait de la plasticité synaptique.
L’éducation joue un rôle essentiel dans la plasticité cérébrale
Comment expliquer le talent particulier de l’homme, capable de lire, écrire, compter, s’habiller ou même conduire une voiture ? Par l’hypothèse du “recyclage neuronal”.
Il suppose que même si la plasticité synaptique est importante, le cerveau de l’homme est soumis à des contraintes anatomiques, fruit de son évolution : le cerveau est structuré, compartimenté et chaque objet culturel inventé, tel l’alphabet, doit y trouver sa place. En réalité, ce recyclage neuronal est une reconversion. Il modifie une fonction utile dans un contexte antérieur en une fonction nouvelle, plus utile dans le contexte présent. Cette fonction est comme détournée de son but initial. Recycler, c’est fabriquer du neuf avec du vieux.
Les mathématiques en sont une bonne illustration. Pour calculer, l’être humain réutilise les zones du lobe pariétal qui sont utilisées pour déplacer l’attention. Quand vous faites une addition, vous déplacez votre attention vers la droite. Et inversement pour soustraire.
L’apprentissage des mathématiques ne prend pas appui sur les sens, mais sur des connaissances universelles. C’est pourquoi les mathématiciens aveugles, à l’instar d’Emmanuel Giroux, activent les mêmes zones du cortex pariétal, temporal et frontal pendant une réflexion poussée que leurs collègues voyants. Ils parviennent juste à recycler en plus leur cortex visuel pour faire des mathématiques.
Autre exemple : vous possédez un sens des formes qui vous permet, dès votre plus jeune âge, de reconnaître un rectangle ou un triangle. Ces formes, ces symboles sont recombinés, recyclés pour créer un nouveau langage, celui de la géométrie.
Quant à la lecture, elle aussi est une preuve du recyclage neuronal. Quand vous lisez, vous réutilisez des aires cérébrales initialement dédiées à la vision et au langage parlé. L’enfant, avant même de commencer son apprentissage de la lecture, avec son système visuel, sait distinguer et nommer des objets, des animaux et des personnes. Quand il apprend à lire, les régions cérébrales dédiées aux objets, visages ou lieux cèdent leur place aux lettres et mots et s’installent à côté.
Donc, à la fois structuré et plastique, le cerveau de l’enfant mêle l’inné et l’acquis. Le rôle de l’école est fondamental : elle aide très tôt le jeune être humain à tirer parti de cette formidable plasticité. Les rôles des parents et de l’environnement de l’enfant sont également primordiaux, car sans leurs stimulations, l’enfant ne pourrait s’enrichir autant.
À présent, êtes-vous prêt à offrir les stimulations qui sont nécessaires à vos enfants pour apprendre ?
Le premier pilier de l’apprentissage est la capacité d’attention
L’attention est le premier des quatre piliers de l’apprentissage. De quoi s’agit-il exactement ? De la capacité de votre cerveau à sélectionner une information, à l’amplifier, la canaliser et l’approfondir.
En effet, abreuvé d’informations et stimulé par les sens, il a besoin d’un filtre pour conserver ce qu’il estime essentiel. L’intelligence artificielle a aujourd’hui bien compris qu’elle devait faire de même pour éviter la lenteur.
Tout d’abord, un signal d’alerte vous dit “quand” faire attention. Présent chez l’animal qui est ainsi prévenu de l’arrivée d’un prédateur, il déclenche chez l’homme l’envie d’apprendre. Contrairement aux idées reçues, un jeu vidéo peut être un puissant stimulant d’éveil de la plasticité cérébrale.
Puis une sorte de projecteur vous indique “à **quoi” il faut prêter attention. Les neurones touchés par ce coup de projecteur sont amplifiés : cela signifie que faire attention, c’est faire taire certaines informations jugées non pertinentes pour en sélectionner une.
C’est devenir aveugle à ce que vous ne voulez pas voir, comme le prouve le test du “gorille invisible” : imaginez que vous assistez à une partie de basketball et que vous avez pour tâche de compter combien de fois les membres d’une des deux équipes s’échangent le ballon. Trop concentré sur votre mission, vous ne verrez probablement pas, comme un pourcentage étonnamment élevé de personnes, qu’il y a un homme déguisé en gorille dans la salle. Quand nous sommes concentrés sur un fait précis, d’autres faits importants peuvent nous échapper complètement.
Enfin, le “contrôle exécutif” vous précise “comment” **traiter les informations et mettre en place un plan d’action. Il pilote, aiguille et est lié à la mémoire de travail. Il décide dans quel ordre envoyer les informations au cerveau et les traite une par une. Ce qui signifie que vous ne pouvez pas faire ou apprendre deux choses complexes simultanément.
Cette attention exécutive, aptitude à se concentrer et se contrôler, se développe avec l’âge et l’éducation. Jouer d’un instrument de musique très jeune la favorise.
Tous les mammifères la possèdent, mais l’être humain y ajoute la prise en compte du contexte social, le regard de et vers l’autre. Cet animal social apprend parce qu’il fait attention aux autres. Par conséquent, un enseignant capable de capter le regard d’un enfant par son attitude et son propre regard lui offrira la possibilité de mieux retenir les informations.
Faire attention à l’attention de l’autre, c’est ainsi qu’agit ou devrait agir tout enseignant. Avez-vous vous-même développé cette aptitude ?
Le deuxième des piliers de l’apprentissage est la capacité à s’engager activement
Pour apprendre, il faut un engagement actif, ce qui incite à échafauder sans cesse de nouvelles hypothèses.
Cette activité n’est pas physique, mais cérébrale. Un élève non concentré, passif, qui ne réfléchit pas à ce qu’il entend et voit, qui ne fournit pas d’efforts pour comprendre ne retient pas grand-chose. En revanche, si vous êtes attentif, concentré, véritable acteur de votre apprentissage, et que vous traitez l’information en profondeur, vous faciliterez grandement votre travail de mémorisation.
L’engagement actif est la curiosité qui pousse chacun d’entre vous à explorer son environnement. Dans quel but ? Pour mieux le maîtriser, pour apprendre des choses nouvelles. De cette façon est activé le circuit de la dopamine (molécule responsable de la sensation de plaisir), qui réagit à un appétit physique (nourriture, drogue, sexe) et également intellectuel. Le simple fait de satisfaire votre appétit d’apprendre ou de penser que vous allez pouvoir le faire constitue une récompense en soi.
La curiosité est un ingrédient essentiel de l’algorithme d’apprentissage utilisé par le cerveau. En effet, vous vous désintéressez de tout ce qui a été vu et revu, devenu rébarbatif, et de ce qui est trop nouveau, car trop complexe. De même, vous pouvez vous détourner d’un domaine qui pourtant vous attirait, mais se révèle trop difficile, telle une passion pour le violon, vite abandonnée à cause de la persévérance qu’il exige.
L’école maintient-elle cette curiosité ? Pas toujours. Comme dit précédemment, la curiosité s’émousse quand nous parvenons à un certain degré de maîtrise. Les élèves les plus avancés manquent souvent de stimulation. Quant à ceux qui sont plus en difficulté, ils comprennent vite qu’ils n’arriveront pas à apprendre.
Rien de mieux pour dissuader l’enfant de toute curiosité que des cours magistraux, ou pour le décourager de s’impliquer dans le cours que des remarques humiliantes. Il est beaucoup plus judicieux de récompenser cette curiosité. De plus, si l’enseignant apporte une solution à un problème qui peut en admettre d’autres et fait mine de ne pas tout savoir, il permet à l’élève de rester en alerte et encourage sa créativité.
Ainsi, les “pédagogies de la découverte”, qui préconisent de livrer l’enfant à lui-même et de le laisser chercher tout seul des règles et des solutions, sont totalement inefficaces. Jean-Jacques Rousseau, le premier, s’était trompé. Pour apprendre à lire ou à compter, l’enfant doit certes être actif, mais il doit surtout être guidé par un pédagogue. Ce n’est qu’une fois nourri par les démonstrations de l’enseignant qu’il arrivera à reproduire, en toute autonomie, ce qu’il aura observé. Un enfant qui s’auto-éduquerait est un mythe qui perdure à tort.
Aviez-vous conscience de l’importance de cet engagement actif dans vos apprentissages ?
L’erreur est le troisième pilier de l’apprentissage
Le retour sur erreur est le troisième pilier de l’apprentissage. Vous progressez si vous vous trompez. À la condition toutefois de recevoir un signal en retour, un feedback : la surprise.
Cette surprise, c’est-à-dire le décalage entre la prédiction et la réalité, est le moteur de l’apprentissage. Que nous apprend la théorie de Rescorla et Wagner, deux chercheurs américains ? Que le cerveau, “via” les sens, fait une prédiction, puis calcule la différence entre sa prédiction et le stimulus réellement obtenu, appelée “erreur de prédiction”. Il la corrige ensuite pour que sa prochaine prédiction soit plus proche de la réalité.
Cela ne signifie pas que pour apprendre, il faille se tromper à chaque fois. Ce qui importe, c’est l’effet de surprise, qui génère un signal d’erreur. Cette règle vaut pour tous, y compris chez les animaux. Toutes les aires cérébrales émettent et échangent des messages d’erreur. Si, par exemple, vous écoutez une série de notes de musique – “do ré do ré do ré” – votre cerveau s’adapte, prédit la suite, s’habitue. Ce qui déclenche la surprise avec un “do ré do ré do do”, c’est cette dernière répétition. Le cortex auditif détecte cette note déviante et le cortex préfrontal détecte la violation globale de la mélodie.
Comment tirer le meilleur parti des signaux d’erreurs qu’échangent vos aires cérébrales ? Pour apprendre de façon efficace, il vous faut très vite et très précisément un retour sur erreur, qui ne soit pas une punition : pour les intelligences artificielles, c’est le principe de l’apprentissage supervisé. Il ne se contente pas de souligner l’erreur ; il indique précisément ce qu’il aurait fallu faire pour ne pas la commettre.
Quelle méthode inefficace les enseignants devraient-ils reléguer aux oubliettes ? Tout d’abord, la note, signal de récompense ou de punition. Sèche, sans commentaire, elle est un médiocre retour sur erreur puisqu’elle n’est pas constructive. Telle quelle, elle ne permet nullement de rectifier ce qui était erroné. De plus, elle décourage, elle stigmatise, elle fait souffrir. Un jeu vidéo, à l’inverse, vous offre la possibilité de progresser.
Pour commencer, vous êtes confronté à des paliers simples que vous réussissez à franchir aisément. Au fur et à mesure, la difficulté augmente, mais vous êtes disposé à l’affronter voire à accepter l’échec plus facilement. Si les concepteurs de jeux vidéo ne prenaient pas ces précautions et qu’ils vous exposaient à l’échec en permanence, vous n’y joueriez pas. En outre, le stress associé à la sanction nuit à la faculté d’apprendre et, au-delà, modifie l’image de soi.
Que devraient, au contraire, privilégier les enseignants ? Le test et l’espacement des apprentissages. Le test est un moment clé de l’apprentissage. La lecture d’un cours ne suffit pas à apprendre. Les expériences le prouvent : celui qui alterne les temps d’étude et de test ancre ses connaissances à plus long terme.
Quant à la distribution de l’apprentissage, il augmente l’activité cérébrale. Il vaut mieux s’entraîner quinze minutes chaque jour que deux heures en une seule fois. À vous de choisir l’intervalle entre deux répétitions de la même leçon en fonction de votre objectif, de la durée de rétention que vous souhaitez obtenir. Ainsi, si vous voulez mémoriser une information pendant quelques jours ou semaines, vous la réviserez tous les jours.
Si vous souhaitez vous en souvenir pendant des mois ou années, vous rallongerez l’intervalle en proportion : vous réviserez au bout d’une semaine, d’un mois, etc.
Êtes-vous désormais décidé à accepter l’erreur ?
La consolidation est le quatrième pilier de l’apprentissage
Il reste maintenant à passer de l’effort, passage obligé de tout apprentissage, à la consolidation qui permettra à votre cerveau de conserver vos nouvelles connaissances longtemps.
Par exemple, considérez l’enfant de fin de CP, jeune lecteur, qui fournit de gros efforts pour lire et déchiffre lentement. Pour que cette activité devienne une routine, un automatisme, il lui faudra encore au moins deux ou trois ans de pratique intensive. Très énergivore au début, cette activité va de moins en moins solliciter le cortex pariétal et le cortex préfrontal. Après quelques années, l’enfant lira même sans effort. Cette routine est primordiale, car elle permet à l’individu de se concentrer sur autre chose.
De quelle manière pouvez-vous consolider au mieux ce que vous avez appris ? En dormant, car le sommeil protège de l’oubli. En effet, le cerveau se répète les événements enregistrés pendant la journée et les transfère dans un autre espace plus efficace et spécialisé de votre mémoire. L’hippocampe stocke les souvenirs de la journée dans une mémoire rapide et ces souvenirs sont réactivés la nuit, dans le cortex, de façon plus lente.
Le lien entre l’apprentissage et le sommeil est donc fort. En dormant, vous pourrez cependant ajouter et consolider des compétences déjà acquises, mais pas de nouvelles. Le cerveau rejoue ce qu’il a éprouvé. Mais il arrive que vous fassiez des découvertes en dormant profondément. Votre cerveau démultiplie votre potentiel, synthétise vos expériences et vous donne l’impression, en vous réveillant, que vous avez enfin trouvé la solution à votre problème.
Tout ce qui est de nature à troubler le sommeil menace l’apprentissage chez tous les enfants, en difficulté scolaire ou non.
Profiterez-vous dorénavant de votre sommeil pour continuer à apprendre ?
Conclusion
Les neurosciences, l’intelligence artificielle et les sciences de l’éducation permettent aujourd’hui de disposer d’informations précises sur la façon dont le cerveau apprend : l’apprentissage suppose une attitude active, de faire des erreurs, mais aussi de bien dormir pour intégrer au maximum ce qui a été appris. Quant aux machines, elles ne rivalisent pas encore avec le cerveau humain, qui reste le champion du traitement de l’information. Selon une enquête récente, les jeunes Français sont moins bons en lecture et en mathématiques que ceux des autres pays. Face à ce constat inquiétant, n’est-il pas urgent de mettre en œuvre les conditions qui favoriseront l’apprentissage et la mémorisation ? Voici quelques pistes pour aider les enfants :
- profiter des premières années de leur vie, pendant lesquelles ils sont particulièrement réceptifs ;
- enrichir leur environnement le plus souvent possible en leur proposant des défis à leur hauteur et en les stimulant par un vocabulaire riche ;
- éloigner les sources de distraction pour favoriser l’attention ;
- les inciter à être actifs et curieux ;
- faire de l’école un lieu d’encouragement, non d’anxiété ;
- encourager l’esprit d’analyse en incitant les étudiants à approfondir leur pensée et à traiter les sujets en profondeur ;
- admettre, corriger les erreurs et réviser ses connaissances ;
- les inciter à dormir.
Ce qu’il faut retenir de ce koob :
- apprendre est une activité qui fait appel à un ensemble de processus complexes ;
- le cerveau est plus performant que la machine ;
- les bébés naissent avec des connaissances ;
- la plasticité du cerveau est ce qui permet à l’enfant d’apprendre ;
- l’éducation joue un rôle essentiel dans la plasticité cérébrale ;
- l’attention, l’engagement actif, le retour sur erreur et la consolidation sont les quatre piliers de l’apprentissage.